La prétendue transmission du latin par les légions romaines

Publié le par Granier de Cassagnac

 

Extrait de l'Histoire des origines de la langue française de Granier de Cassagnac traitant des langues  effectivement parlées dans l’armée romaine en Gaule. À ma connaissance, personne auparavant ne s’était chargé de ce travail élémentaire, et personne ne l’a fait après lui. On se demande bien pourquoi.

 


Après y avoir mûrement réfléchi, nous croyons qu’il n’y a qu’un système plausible qui puisse être proposé pour expliquer comment la langue latine se serait établie dans la Gaule, et y aurait pris la place des dialectes nationaux ; ce serait de dire que la langue latine a été propagée dans la Gaule par les armées des Romains, et qu’elle y a été consolidée par leur administration.

Si l’étude historique de ce système ne justifiait pas l’hypothèse de la propagation du latin par les légions, et prouvait au contraire que ce mode de propagation n’a été ni réel ni possible, il faudrait nécessairement conclure alors de cet examen que la doctrine de Barbazan, de Roquefort, de Raynouard, de l’Académie française, de l’École des chartes sur la formation de la langue française est une chimère, et chercher dans la communauté d’origine du français et du latin l’explication de la communauté de leurs mots.

César employa pour conquérir la Gaule neuf années et onze légions, sans compter des corps nombreux d’auxiliaires italiens, crétois, baléares, germains, et une nombreuse cavalerie espagnole, gauloise et germaine.

D’où provenaient ces légions ? Quelles langues parlaient-elles ? En quels endroits de la Gaule furent-elles placées ultérieurement en quartiers d’hiver et en garnison ? Quelle action purent-elles exercer sur la langue gauloise ?

Telles sont les questions que nous allons examiner.

 

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Au sortir de son consulat, l’an de Rome 696, l’an 53 avant l’ère vulgaire, César obtint par un plébiscite et pour cinq ans le gouvernement de la Gaule cisalpine et de l’Illyrie. Le sénat y joignit la Gaule chevelue, c’est-à-dire toute la Gaule transalpine. Les Romains ne possédaient alors de la Gaule transalpine que la Province dite narbonnaise, comprenant la Savoie, le Dauphiné, la Provence, le Languedoc et le Roussillon.

On reçut à Rome l’avis que les Helvétiens, nation gauloise, se proposaient d’émigrer en masse vers la Saintonge, en traversant et, selon toutes les apparences, en ravageant la Province romaine. Le départ était fixé au cinquième jour avant les calendes d’avril ; c’est-à-dire au 25 mars.

César arriva en hâte à Genève, ville appartenant à l’Allobrogie, ou à la Savoie, et par conséquent à la Province. Il s’y assura de l’exactitude du projet des Helvétiens, dont les chefs vinrent lui demander la permission de passer le Rhône sur le pont de Genève et de traverser le pays des Allobroges. César ajourna sa réponse aux ides d’avril, c’est-à-dire au 8 de ce mois. Il voulait se donner le temps de réunir ses forces pour barrer le chemin à l’émigration.

On avait donné à César quatre légions. Une gardait la Province, disséminée entre Toulouse et le Léman ; les trois autres étaient dans leurs quartiers d’hiver, près d’Aquilée, à l’entrée de l’Illyrie. Ces quatre légions étaient composées de vieilles troupes ; c’étaient la septième, la huitième, la neuvième et la dixième. En les supposant complètes, c’était un effectif moyen de 16 000 fantassins et de 800 chevaux, sans compter, il est vrai, les troupes auxiliaires.

Ces forces étaient néanmoins insuffisantes pour arrêter ou combattre les Helvétiens.

Sans perdre un moment, César ordonne une forte levée dans toute la Province. Cette levée lui fournit des fantassins auxiliaires et de la cavalerie ; réunie à une autre levée de cavalerie, faite chez les Éduens, elle formait un corps de 4 000 chevaux.

Avec ces deux levées et la légion qu’il avait déjà dans la Province, il fait fortifier et défendre tous les passages du Rhône, depuis le lac Léman jusqu’au pas de l’Écluse.

Fort de ces ressources provisoires, César fait rompre le pont de Genève ; il court en Italie; il y lève, dans son gouvernement, deux nouvelles légions, qui sont la onzième et la douzième ; il fait arriver d’Aquilée les trois légions qui s’y trouvaient dans leurs quartiers d’hiver ; et, revenu dans l’Allobrogie avec une promptitude presque incroyable, il joint les Helvétiens au moment où, après avoir renoncé à forcer le passage du Rhône, ils venaient de franchir les défilés du Jura, et atteignaient par leurs têtes de colonne les bords de la Saône, sur le territoire des Éduens.

Arrêtons-nous ici un instant dans la question militaire, et revenons à la question philologique.

César commande six légions, des auxiliaires à pied et 4 000 hommes de cavalerie, également auxiliaires.

Les cavaliers auxiliaires sont des Gaulois transalpins, appartenant à peu près par moitié aux pays de la Province et aux pays de la Bourgogne. Les fantassins auxiliaires appartiennent tous à la Province. Le corps entier des auxiliaires, tant à pied qu’à cheval, est donc Gaulois, et par conséquent parle gaulois.

Restent les six légions, quatre anciennes et deux nouvelles. Quelles langues parlaient-elles, ou, ce qui revient au même, dans quels pays avaient-elles été levées ?

Telle est la question à résoudre.


(M. A. Granier de Cassagnac, Histoire des origines de la langue française, 1872.)


La suite ici.

 

 


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